Pâques.
Ma mère est orthodoxe et mon père est catholique. Tout en restant non baptisée jusqu'à l'âge de 16 ans, j'avais droit à deux fêtes de Pâques. Dans l'ambiance anti-religion, malgré la fermeture des églises et l'interdiction de fêter toutes les dates religieuses, nous le faisions quand-même. En cachette.
Moi, en ayant aucune notion du cathéchisme, j'adorais cette fête par sa luminosité (les premiers jours de printemps s'installent doucement en Lettonie), par sa sérénité, par le sentiment d'être unie avec tous les gens que j'aimais.
Ma maman faisait ses fameux petits pains au pavot. Mes baboushkas préparaient du Paskha (un gâteau traditionnel, un sorte de dôme au fromage blanc), des kulichs (un gâteau parfumé, avec des fruits confits, des raisins, ou simplement nature). Je colorais des oeufs avec ma tante. Pelure d'oignon rouge, des fleurs et des plantes pour la décoration. Pas d'oeufs au chocolat, non, cela n'existait pas. Et, de toute façon, vu que le chocolat russe ressemblait plutôt à une pâte à modeler mise au frigo la veille, je ne pense pas que les enfants l'adoreraient. Par contre, les enfants cherchaient des premiers fleurs, faisaient des bouquets et décoraient la maison avec.
On servait la table: nappe blanche, de belles assiettes, un vase avec des jacinthes ou tulipes et une bougie allumée. Lorsque les invités entraient dans la maison, l'on se disait "Christos voskres" ("le Christ est ressuscité"). Je ne comprenais rien du tout de ces mots mais je les répétais avec plaisir car ils me paressaient étrangement mystérieux.
Pour le déjeuner la table était splendide: rôti d'agneau, tous sortes de jambon, des saucissons fait maison, champignons salés, légumes marinés. L'on oubliait (ou presque) les étagères vides des magasins (un seul sorte de saucisson mélangé avec du papier(vous avez bien compris... du papier!), et des boîtes de conserves avec quelque chose qui rappellait vaguement le goût du poisson) ainsi que de longues files d'attente pour les produits un peu plus mangeables.
L'après-midi on allait à la cimetière, on se rappelait de ceux qui étaient partis. Nous étions tous ensemble à nouveau. La journée, belle, sereine, avec une petite pointe de nostalgie, prenait fin. Une très belle journée qui reste à jamais gravée dans mes souvenirs d'enfance...